Une proposition de stratégie
Face à la crise écologique, sociale et démocratique, de nouvelles pratiques économiques émergent, cherchant à rompre avec les logiques de croissance infinie et de prédation. Parmi elles, la comptabilité CARE (Comptabilité Adaptée au Renouvellement de l’Environnement) apparaît comme un levier concret pour transformer la manière dont nous pensons, mesurons et organisons nos activités collectives.
Ce document propose une proposition de stratégie concrète pour une Économie Régénérative et Solidaire, articulant les principes de CARE avec les aspirations d’une société post-croissance. Il est conçu comme un outil didactique, destiné à nourrir l’action citoyenne et politique, par exemple dans le cadre des élections municipales.
Les fondements de l’Économie Régénérative et Solidaire
- Une économie citoyenne : l’épargne, le crédit et la dette deviennent des outils de transformation, ancrés dans les territoires, au service du bien commun.
- Une économie de la suffisance : production locale, respect des limites planétaires, frugalité choisie.
- Une économie de la solidarité : coopératives, associations, mutuelles et fondations remplacent la logique extractiviste et spéculative.
- Une économie de la responsabilité partagée : la propriété n’est plus absolue, mais fonctionnelle ; les biens et savoirs sont utilisés plutôt que possédés.
Cette vision suppose de remettre l’humain et la nature au centre de l’économie, et d’inventer de nouveaux rapports à l’épargne, au crédit et à la dette.
Le rôle de CARE : réencastrer l’économie dans le vivant
La comptabilité CARE repose sur trois principes :
- Prendre en compte trois capitaux : financier, humain et naturel, tous considérés comme essentiels et non substituables.
- Préserver leur valeur : chaque capital doit être maintenu à son niveau de viabilité ; si une entreprise ou une collectivité l’entame, elle doit provisionner le coût de sa régénération.
- Renverser la logique de la rentabilité : un résultat économique n’est soutenable que si aucun capital critique n’est détruit.
En pratique, CARE permet de rendre visibles des coûts cachés (épuisement des sols, atteintes à la santé, dégradation des écosystèmes) et de rendre leur prise en charge obligatoire.
Réponse aux objections
1. « On va être submergés par des indicateurs compliqués »
Réponse : CARE ne repose pas sur une inflation d’indicateurs, mais sur quelques repères fondamentaux, directement liés à la préservation des cycles vitaux (par ex. la qualité écologique des sols, la santé humaine, la capacité de reproduction des ressources). Ces repères sont simples, lisibles et pédagogiques : ils permettent une appropriation citoyenne.
2. « Ça va créer du reporting bureaucratique et décourager l’action »
Réponse : au contraire, CARE peut alléger la charge normative en remplaçant une myriade de règles prescriptives par un principe clair : ne pas entamer le capital naturel et humain. Là où aujourd’hui la complexité déresponsabilise, CARE inverse la responsabilité : celui qui dégrade doit provisionner.
3. « Cela revient à autoriser la destruction moyennant une compensation »
Réponse : Non. CARE interdit la compensation externe. Si un capital est dégradé, il doit être restauré localement. La hiérarchie est claire :
- Éviter (priorité absolue),
- Réduire (provisionner le coût de la régénération),
- Restaurer (dans le territoire concerné),
- Compenser ailleurs : exclu.
Ainsi, CARE renforce la logique d’évitement et de précaution.
4. « Comment évaluer la valeur du provisionnement ? »
Réponse : Il ne s’agit pas de monétiser la nature comme dans les procès environnementaux, mais d’estimer les coûts techniques réels de restauration : régénérer un sol, reconstituer une biodiversité fonctionnelle, restaurer des conditions de travail dignes. CARE s’appuie sur des référentiels scientifiques (comme la qualité écologique des sols – QES) et sur des savoirs pratiques (paysans, associations, scientifiques).
Exemple de stratégie concrète pour les collectivités locales
- Adopter CARE dans les budgets municipaux : inscrire dans les comptes le maintien des capitaux humains (santé, éducation, bien-être) et naturels (sols, eau, biodiversité).
- Appuyer l’agriculture régénérative : intégrer la QES (qualité écologique des sols) dans les documents d’urbanisme (PLU, SCOT, PADD) ; soutenir les fermes coopératives, les AMAP, les monnaies locales.
- Financer par l’épargne citoyenne : créer des fonds municipaux de transition alimentés par l’épargne locale, fléchés vers des projets régénératifs.
- Mettre en réseau les acteurs : favoriser les coopératives, associations, ateliers de réparation, jardins collectifs, structures éducatives.
- Renforcer la responsabilité partagée : contractualiser avec les producteurs et productrices une sécurité d’écoulement (modèles type AMAP, coopératives alimentaires), afin d’assurer des revenus stables et une production résiliente.
CARE comme outil politique
CARE n’est pas qu’une méthode comptable : c’est un manifeste technique et philosophique. Il fournit un langage commun pour :
- sortir de la dépendance à la croissance et au PIB,
- rendre les destructions visibles et politiquement inacceptables,
- réorienter les investissements vers la régénération,
- réaffirmer que l’économie doit d’abord préserver les conditions de la vie.
Une visée politique qui montre un chemin de vie et d’espoir
La comptabilité CARE, appliquée dans une perspective post-croissance, constitue une stratégie concrète pour une Économie Régénérative et Solidaire. Elle répond aux objections de complexité ou de compensation, en recentrant l’attention sur l’essentiel : maintenir vivants les capitaux humains et naturels qui conditionnent notre avenir.
En liant responsabilité, solidarité et transparence, CARE devient un outil de mobilisation citoyenne et politique. Elle ouvre la voie à des municipalités capables d’incarner dès aujourd’hui une alternative crédible et désirable.
Il ne s’agit pas d’attendre un « grand soir écologique », mais de construire, dès maintenant, des pratiques économiques justes, lisibles et régénératives.
Les visées politiques pouvant intégrer la CARE
Une Économie Régénérative et Solidaire
C’est aussi une économie citoyenne où l’épargne, le crédit et la dette deviennent des outils de transformation ancrés dans le réel — une économie de la suffisance (Sufficiency), avec une production enracinée dans les proximités et respectueuse des limites naturelles, au service d’un universalisme social et écologique.
Cela oblige à s’éloigner d’une économie qui, pour exister, exerce un contrôle sur les esprits, les cultures et les structures sociales. L’histoire nous montre qu’à travers un droit de propriété exclusif, privé ou d’état, toutes les formes de capitalisme qu’il soit marchand, industriel, fordiste (incluant keynésien), néolibéral, cognitif ont toutes imaginé la vassalisation de la nature et de l’humain au travers de dispositifs spécifiques évoluant avec leur époque ; on y trouve toutes les contreparties d’une sécurité encadrée par l’addiction et la soumission, la compétition, les algorithmes … un bonheur frelaté au détriment de la joie de vivre.
Imaginer une autre trilogie épargne/crédit/dette
La difficulté vient du fait que l’on pense que l’on maîtrise cette trilogie et qu’elle est à notre service … en fait, ce n’est pas le cas ; nous le percevons sans conteste par la sensation de dépenses contraintes, de mobilités contraintes, de vie contrainte … le challenge est de remettre l’humain et la nature au centre de notre économie.
Dans cette perspective, l’épargne est un outil de soutien aux initiatives locales et de toutes les proximités. Le crédit devient un levier pour encourager les investissements accompagnant l’essentiel, écologiquement responsables et enrichissants socialement. La dette est un engagement collectif au service d’un bien commun qui doit générer un impact positif pour un humain solidaire ; cet impact positif doit permettre le remboursement.
Cette métamorphose repose sur une logique de circulation solidaire des ressources financières, où l’argent n’est plus un moyen de spéculation ou d’enrichissement individuel mais un cercle vertueux garanti par la transparence et la coopération citoyenne.
Cela existe déjà, on va dire sous forme d’esquisse, à nous d’en faire un véritable projet en occupant tout l’espace laissé par ce qui n’est pas (encore) interdit … et donc autorisé.
Autorisé — les entreprises qui prennent la forme de coopératives, où chaque membre a une voix égale dans les décisions. Autorisé — les associations, les mutuelles et les fondations qui remplacent les multinationales prédatrices en orientant leurs actions vers la justice et l’utilité sociale et environnementale. Autorisé — que les excédents financiers ne soient plus une fin en soi, mais un moyen de renforcer les projets collectifs. Autorisé — que les individus deviennent non seulement des usagers, des consommateurs, mais aussi des producteurs et des gestionnaires de biens et de moyens partagés, qu’il s’agisse d’une ferme agroécologique, d’un réseau d’ateliers de production, d’entretien et de réparation, de jardins collectifs, des structures et réseaux éducatifs, d’environnement de soins etc …
Dans cette économie, la propriété perd de son caractère absolu. Les biens, les savoirs, les compétences sont partagés, utilisés plutôt que possédés. C’est une logique de fonctionnalité. La sobriété prend la valeur positive de la frugalité, non par privation, mais par choix éclairé. Cette économie ne nie pas la technologie, mais la met au service de la collectivité. Elle ne rejette pas l’innovation, mais la réoriente. Surtout, elle redonne du sens au travail, non plus comme une contrainte pour survivre, mais comme une contribution libre et choisie à la prospérité commune.
Nous n’attendrons pas de grand soir « écologique ». Dès aujourd’hui, nous construirons notre monde, nous installerons nos pratiques, et nous nous battrons pour que cette hybridation économique et écologique devienne une réalité incontournable. Voilà une vision affirmée, une perspective politique qui ouvre le dialogue et se veut rassembleuse autour d’idées fortes et alternatives.