Repenser la dette publique comme investissement collectif
1. L’illusion de l’indépassable
Le capitalisme financiarisé s’impose à nous comme une évidence : ses règles paraissent naturelles, ses contraintes immuables. Comme hier le féodalisme ou le mercantilisme, il produit un imaginaire de la nécessité : « il n’y a pas d’alternative » (effet TINA « There Is No Alternative ») popularisé par Thatcher. La dette publique serait donc une fatalité, une montagne infranchissable qui condamne les États à l’austérité.
Mais l’histoire rappelle qu’aucun régime économique n’est éternel. Ce sentiment d’indépassable est une construction idéologique : il résulte du fait que nos vies — retraite, logement, emploi, épargne — sont profondément enchâssées dans la sphère financière. Or, d’autres voies existent. Des expériences locales, des crises, des innovations comptables (comme la comptabilité CARE à trois volets : économique, social, écologique) prouvent qu’il est possible de raconter autrement la dette.
2. Déconstruire la dette : une contrainte ou un contrat ?
La dette publique est souvent présentée comme une punition, mais c’est avant tout un rapport social. Elle peut enfermer ou libérer selon la manière dont elle est conçue.
- Mauvaise dette : elle finance le quotidien sans préparer l’avenir. Subventions aux énergies fossiles, niches fiscales peu efficaces, intérêts versés aux marchés. Cette dette ne construit rien.
- Bonne dette : elle finance ce qui relie les générations — hôpitaux, écoles, transition écologique, infrastructures. Elle ne compromet pas l’avenir : elle l’ouvre.
De même, l’impôt devrait être compris comme une dette que l’État contracte envers sa population : chaque euro collecté oblige à rendre un service, à bâtir une société. L’essentiel n’est donc pas le volume global de la dette, mais sa qualité.
3. Qui détient la dette, détient une part de notre avenir
Plus de 50 % de la dette française est aujourd’hui entre les mains d’investisseurs étrangers. Cela fragilise la souveraineté budgétaire : chaque hausse de taux dictée par les marchés pèse des milliards, sans financer un seul hôpital.
Un scénario vertueux serait de réinternaliser la dette utile : confiée à la Banque de France, à la Caisse des Dépôts, à des assurances nationales ou à l’épargne citoyenne. Car la question de la dette n’est pas seulement financière, elle est démocratique : qui détient la dette oriente nos choix collectifs.
4. Une approche budgétaire à somme constante, mais à risque redistribué
Il ne s’agit pas de « relâcher » la discipline budgétaire, mais de la recomposer.
- Les dépenses courantes (fonctionnement, charges immédiates) devraient être couvertes par l’impôt et, si besoin, par de la dette privée à court terme.
- Les investissements d’avenir (écologie, santé, éducation, infrastructures) devraient être financés par de la dette publique de long terme, hors marchés, adossée à des institutions publiques (marché secondaire) et/ou à l’épargne citoyenne.
Ainsi, la France ne change pas le volume de son budget, mais sa structure. La soutenabilité s’en trouve renforcée : les marchés ne sont plus garants de l’essentiel, et la dette stratégique est sanctuarisée.
5. Effets attendus
- Stabilité financière : en distinguant la dette « bonne » et « mauvaise », les marchés perçoivent mieux le risque réel. Les taux devraient baisser.
- Souveraineté budgétaire : moins de dépendance aux investisseurs étrangers, plus de contrôle national.
- Démocratie : les citoyens deviennent acteurs du financement, via des mécanismes d’épargne publique fléchée vers la transition et la cohésion sociale.
- Temporalité clarifiée : le court terme reste un outil de trésorerie, le long terme devient un investissement partagé.
6. Transformer le récit
La dette n’est pas seulement une opération comptable : elle est un récit collectif. Tant qu’elle est racontée comme un fardeau, elle nourrit la résignation. Si elle est racontée comme un investissement partagé, elle devient un levier d’espérance.
Requalifier la dette existante n’efface rien, mais révèle que les 3 000 milliards français ne sont pas une montagne stérile : ils correspondent pour une large part à des biens communs déjà là — hôpitaux, écoles, infrastructures. Ce qui paraissait une punition devient une mise en commun entre générations.
Conclusion : Une dette pour vivre, une dette pour grandir
Le vrai clivage n’est pas entre impôt et dette, ni entre austérité et relance. Il est entre une dette qui entretient et une dette qui construit.
- La première (dette courante) doit être contenue, financée par l’impôt et, à la marge, par les marchés.
- La seconde (dette stratégique) doit être assumée comme un choix collectif, adossée à des institutions publiques et tournée vers l’avenir.
En distinguant ces deux dettes, la France ne s’allège pas artificiellement : elle reprend la main. Elle transforme un mécanisme subi en outil de souveraineté, et un imaginaire de fatalité en horizon de projet.
Le risque devient “citoyen”
- Ce n’est pas une fuite en avant, c’est une prise de responsabilité collective.
- Le risque de la “bonne dette” est assumé par la nation, dans une logique de souveraineté économique.
- Cela permet de réconcilier investissement public et discipline budgétaire, sans renier les engagements européens.
Pour écouter d’autres sons et en particulier Eric Heyer de l’observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) souvent rattaché au néokeynésianisme et qui porte malgré tout des positions intéressantes !
Le 18/20 : le téléphone sonne du jeudi 28 août 2025 | France Inter

Tout à fait d’accord sur ces distinctions entre bonne dette et mauvaise dette et sur la façon de financer chacune, mais il reste néanmoins un point aveugle dans ce raisonnement, ce qu’on appelle la soutenabilité de la dette.
Indirectement, cela renvoie au rôle qu’on entend faire jouer à l’argent de manière générale aux échanges monétaires.
En effet, si on pousse tous les curseurs de vos raisonnements jusqu’à leurs limites, cela peut aboutir à un moment à la solution, utilisée dans certaines civilisations de l’effacement à intervalle régulier de tout ou partie de la dette.
Vous ouvrez là un débat intéressant