Voir la France en entier – Dette, patrimoine et avenir

Si l’on apprenait à lire nos comptes autrement

On parle beaucoup de la dette publique française — rarement de son patrimoine.
Et pourtant, la France, comme tout acteur économique, possède des biens, des entreprises, des créances et des infrastructures qui ont une valeur réelle.
Ne regarder que la dette, c’est comme juger un ménage uniquement sur son emprunt immobilier sans tenir compte de la maison qu’il a achetée.


Ce que disent les chiffres publics

Fin 2024, la dette publique “officielle”, celle utilisée dans les comparaisons européennes, s’élève à environ 3 300 milliards d’euros — soit un peu plus de 113 % du PIB.
Mais cette dette ne représente que les emprunts financiers de l’État, des collectivités et de la Sécurité sociale.

Si l’on additionne tous les autres engagements comptables (pensions à verser, dettes internes entre administrations, dettes fournisseurs, etc.), la somme atteint près de 4 200 milliards d’euros.
C’est la vision “comptable complète” publiée par l’INSEE.

  • 3 300 milliards, c’est ce que l’État doit aux marchés.
  • 4 200 milliards, c’est tout ce qu’il doit au sens large, y compris à lui-même et à ses agents.

Mais la France n’a pas que des dettes

L’État possède aussi un patrimoine considérable.
D’abord, un patrimoine non financier — routes, hôpitaux, bâtiments, réseaux, terrains, forêts, écoles… — évalué à environ 2 700 milliards d’euros.
À cela s’ajoutent ses actifs financiers : participations dans des entreprises publiques (EDF, SNCF, Bpifrance, Banque de France, etc.), prêts, dépôts et créances diverses — pour environ 2 500 milliards d’euros.

Au total, les actifs de l’État dépassent 5 000 milliards d’euros.
Face à 4 200 milliards de dettes, cela laisse un patrimoine net global positif d’environ 1 000 milliards.

Financièrement, l’État est endetté ; patrimonialement, il reste propriétaire.


Les limites actuelles et comment mieux voir

On ne voit encore la France qu’en morceaux : d’un côté, les comptes de l’État ; de l’autre, ceux des ménages et des entreprises.
Il manque un vrai portrait commun, clair et complet, de tout ce que nous possédons et devons collectivement. Un portrait dit « consolidé » c’est-à-dire rassemblé en un seul ensemble, sans compter deux fois les mêmes éléments.

Mais même avec ce “portrait complet”, beaucoup de zones resteraient encore floues.


Les valeurs de certains biens publics, comme les routes, les écoles ou les hôpitaux, sont souvent calculées à leur coût d’origine et non à leur valeur réelle d’aujourd’hui.
D’autres biens, essentiels à la vie commune, ne peuvent pas être vendus : ils ont une valeur d’usage, mais pas de prix de marché.
Et puis il y a tout ce qu’on ne mesure presque jamais : les engagements pour les retraites, la santé, ou encore les coûts liés au climat.

Résultat : nos chiffres donnent parfois une image incomplète — ou trompeuse — de la réalité du pays.

Pourtant, cette image partielle n’est pas une fatalité.

Si l’on apprenait à lire nos comptes autrement — en regardant à la fois ce que la France possède, ce qu’elle doit, et ce qu’elle construit pour l’avenir — on verrait les choses sous un autre jour.

On comprendrait que l’essentiel n’est pas seulement de réduire la dette, mais de donner du sens à chaque euro dépensé ou investi.
Qu’une dépense peut être un coût aujourd’hui, mais un gain collectif demain.

Cette nouvelle manière de lire nos comptes invite aussi à repenser la frugalité : non pas comme une contrainte imposée d’en haut, mais comme une manière de vivre ensemble plus juste et plus consciente.
Une frugalité choisie, qui se construit dans nos foyers, nos quartiers, nos petites communautés — là où naissent les solidarités, les rêves et les valeurs du vivant.


Toutes les dettes ne se valent pas.

Ce n’est pas tant le montant qui compte, mais la raison pour laquelle on s’endette.

On peut distinguer plusieurs types de dettes, selon ce qu’elles apportent ou laissent derrière elles :

  • La “bonne dette”, c’est celle qui construit l’avenir : financer une école, un hôpital, une ligne de train, la recherche, ou la transition écologique. Elle crée des biens durables, utiles à tous, y compris aux générations futures.
  • La “dette utile mais à surveiller”, c’est celle qui soutient temporairement l’économie ou l’emploi en période difficile. Elle peut être bénéfique, à condition de ne pas devenir permanente.
  • La “fausse dette”, c’est celle qui finance des dépenses sans retour collectif : des subventions inefficaces, des avantages injustifiés, ou des dépenses qui détruisent plus de valeur qu’elles n’en créent.

Le vrai enjeu n’est donc pas de savoir s’il faut s’endetter, mais pour quoi, pour qui, et pour combien de temps.

Une dette peut être un poids, mais elle peut aussi être une promesse : celle de transmettre un monde un peu plus solide, plus juste, et plus vivable.


De plus en plus d’économistes et d’institutions internationales proposent une autre façon de lire les comptes d’un pays : une comptabilité inclusive.

Cette approche ne se limite plus à l’argent qui entre et qui sort chaque année.
Elle cherche à mesurer l’évolution du patrimoine réel d’un pays, c’est-à-dire tout ce qu’il possède et préserve : son capital financier, bien sûr, mais aussi son capital naturel, humain et social.

Dans cette lecture plus complète, un pays peut avoir de la croissance tout en s’appauvrissant s’il détruit ses forêts, épuise ses sols ou dégrade ses services publics.
À l’inverse, il peut s’endetter temporairement tout en s’enrichissant, s’il investit dans l’éducation, la santé, ou la transition écologique.

En France, adopter cette vision permettrait d’y voir plus clair : mieux estimer nos patrimoines, nos dettes réelles, et replacer la valeur du vivant au cœur des décisions publiques.
Ce serait un changement profond, à la fois économique, politique et culturel.

Car aujourd’hui, les règles budgétaires européennes ne tiennent compte que des chiffres financiers à court terme — elles ignorent la richesse réelle des pays et pénalisent l’investissement collectif.

Mettre en place une comptabilité inclusive, ce serait ouvrir un nouveau chapitre :

  • une nouvelle manière de compter, qui rassemble au lieu d’opposer ;
  • une nouvelle manière de décider, fondée sur ce que chaque choix crée ou détruit de valeur durable ;
  • et, surtout, une nouvelle manière d’habiter le monde, plus lucide, plus responsable, plus humaine.

En somme :

Changer la façon de compter, c’est déjà changer la façon de gouverner.


Reprendre la main sur le sens de nos comptes.

L’abandon de la loi européenne dite “omnibus” n’est pas seulement un revers technique : c’est le symptôme d’un malaise plus profond. Celui d’une Europe prisonnière d’une vision comptable du monde, qui additionne les chiffres sans regarder ce qu’ils racontent vraiment — ni ce qu’ils cachent.

Cet échec nous rappelle qu’on ne peut plus gouverner des sociétés vivantes avec des tableaux figés. Les peuples européens ont besoin d’une boussole, pas seulement d’une calculette. Ce qu’il faut désormais revendiquer, ce n’est pas “plus ou moins de dette”, mais une nouvelle manière de compter, commune à toute l’Europe : qui additionne les richesses réelles — naturelles, humaines, sociales — au lieu de les effacer ; qui distingue les dépenses stériles des investissements d’avenir ; et qui permette aux citoyens, aux élus et aux États de voir clair, ensemble, dans les choix qui engagent le futur.

Mettre en place une comptabilité européenne du vivant et du long terme, c’est redonner sens à l’idée même de projet commun.

Parce qu’une Europe qui ne sait plus ce qu’elle possède, ce qu’elle protège et ce qu’elle veut transmettre, ne peut plus décider librement.

L’abandon de la loi européenne dite “omnibus” n’est pas qu’un revers technique : c’est le signe d’une Europe fatiguée de ne plus savoir lire ses propres forces. Dans cette situation et par « dépit » elle abandonne sa « conduite » a une certaine droite européenne qui glissent vers des formes d’autorité, sans dialogue mais qui se veut rassurante … les apprentis sorciers sont de retour !

Reconstruire une économie de la transparence et du bien commun, c’est redonner chair à l’idée même d’Europe démocratique. Et parce qu’à l’inverse, une Europe qui apprend à voir son patrimoine réel retrouvera la confiance, la fierté et la force d’agir pour l’avenir.

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Une dette pour vivre, une dette pour grandir – Post-croissance Une dette pour vivre, une dette pour grandir Base de connaissance post-croissance