La distinction entre « attentat terroriste » et « violences urbaines » repose souvent sur une hiérarchie implicite : le premier serait politique, le second social ou identitaire. Or, réduire l’émeute ou la contestation violente à un simple désordre revient à nier leur dimension politique. Toute action collective dirigée contre les institutions, qu’elle soit organisée ou spontanée, doit être pensée comme un acte politique.
Le politique comme conflit
Claude Lefort rappelle que la démocratie est un espace conflictuel où le pouvoir est toujours remis en jeu. Refuser de voir la politique dans l’émeute, c’est refuser la démocratie elle-même. Jacques Rancière va plus loin : la politique est dissensus, c’est-à-dire l’irruption de ceux qui n’étaient pas comptés dans l’ordre établi. L’émeute, même sans programme, est une manière de dire « nous existons ».
Violence et institutions
Hannah Arendt distingue le pouvoir de la violence : le pouvoir fonde, la violence défait. Mais elle reste politique dès lors qu’elle s’exprime collectivement contre un ordre établi. Les institutions sont des symboles : attaquer une mairie, une école ou la police, c’est contester la légitimité de l’État. Même si l’acte ne vise pas à renverser l’État, il en attaque la représentation.
Politique sans projet
Michel Foucault parlait de « micro-politiques » : des résistances locales qui fissurent les rapports de domination. Elles n’ont pas de projet global, mais elles révèlent les tensions. Dire que ces violences ne sont pas politiques, c’est les neutraliser, les réduire à du vandalisme. Or, elles sont politiques parce qu’elles expriment un refus collectif de l’ordre institutionnel.
La réponse de l’État
Si l’on accepte que toute violence collective est politique, alors la réponse ne peut être uniquement sécuritaire. Envoyer plus de forces de l’ordre que de manifestants, comme à Sainte-Soline, revient à nier la dimension politique et à transformer la démocratie en gestion autoritaire de l’ordre. Une démocratie vivante doit inventer des réponses politiques positives : dialogue, reconnaissance, transformation.
Il n’y a pas d’acte politique « négatif ». Même l’émeute, même la violence, est une expression politique qui doit être reconnue comme telle. Refuser cette reconnaissance, c’est enfermer l’État dans une logique de confrontation permanente. Reconnaître la politique dans l’émeute, c’est ouvrir la possibilité d’une démocratie qui ne se réduit pas à l’ordre, mais qui accepte le conflit comme constitutif.
Références théoriques
- Hannah Arendt, Du pouvoir et de la violence (1972)
- Claude Lefort, L’invention démocratique (1981)
- Jacques Rancière, La Mésentente (1995)
- Michel Foucault, Il faut défendre la société (1976)
- Cornelius Castoriadis, L’institution imaginaire de la société (1975)
Laisser un commentaire