A Quiberville-sur-Mer, en Seine-Maritime, le camping municipal du bord de mer a été relocalisé pour éviter de nouvelles inondations. L’emplacement va redevenir une zone naturelle. Un vrai changement de pratique en matière d’adaptation au réchauffement climatique et à la montée du niveau des mers.
Ce jour-là, les engins de démolition mettent en pièce le dernier bâtiment en dur du camping municipal situé à quelques dizaines de mètres de la Manche, sous le regard ému du maire de Quiberville-sur-mer Jean-François Bloc : « C’est vrai que ça fait un peu mal de voir cela, mais il faut tourner la page. C’est toute l’histoire d’un village ».
L’élu a vu se construire le camping de la plage dans les années 60, à l’époque des tentes en toile, des 4L et des tables pliantes en formica. Au fil des décennies, le camping a été modernisé, les enfants des premiers clients sont venus et leurs enfants à leur tour. « Il y a des gens de mon âge qui ont appris à marcher et faire du vélo ici. C’est sentimental. Certains vacanciers ne comprennent pas pourquoi le camping est délocalisé. Ils pensent qu’il aurait pu tenir encore quelques années. Mais ce n’était pas possible » raconte le maire de la commune depuis 37 ans. Le camping risquait une fermeture administrative, trop exposé aux aléas climatiques.
A Quiberville, 540 habitants, difficile d’oublier la tempête de 1999. Le bord de mer est inondé. Les caravanes flottent dans un 1 mètre 60 d’eau.
Un repli stratégique
Pour comprendre le danger il faut regarder la géographie. Le camping est situé à l’embouchure de la Saâne, le fleuve côtier qui se jette dans la Manche. Le risque d’inondation vient aussi bien de la mer, pendant les tempêtes, que de la terre, pendant les crues. La vallée de la Saâne concentre tous les problèmes hydrologiques explique Stéphane Costa, enseignant-chercheur en géographie à l’Université de Caen : « nous sommes dans une zone basse qui peut être inondée par le débordement des cours d’eau, par les remontées de nappes phréatiques et par les franchissements de la digue par la mer pendant les périodes de tempête. Tous ces phénomènes peuvent être concomitants et ils vont l’être d’autant plus avec le réchauffement climatique et l’élévation du niveau des mers. »
Stéphane Costa, spécialiste des effets du changement climatique sur le littoral normand met en garde : « Le niveau de la mer sur notre côte a augmenté de 20 cm en 100 ans, dont 10 cm depuis 30 ans ». Autrement dit, le phénomène s’accélère.
Et la digue, construite au 19ème siècle, et plusieurs fois consolidée, ne suffit plus.
Pire, ce rempart, qui est aussi la route du bord de mer, empêche la Saâne de se jeter dans la mer naturellement. Il s’écoule sur la plage par une buse. Le faible débit aggrave les crues. La vallée devient alors une baignoire.
Il faut changer de stratégie explique Régis Leymarie délégué adjoint du conservatoire du littoral de Normandie qui pilote ce projet : « dans le passé, on mettait beaucoup d’argent public dans des enrochements, des digues et des pompes. Avec ce projet, on arrête de se battre contre la nature. On travaille avec la nature. On lui redonne sa place. C’est un changement total de modèle d’aménagement du littoral ».
On laisse de nouveau entrer la mer dans la vallée
Ce projet « Basse Saâne 2050 » , estimé à 17 millions d’euros, a été largement financé par le Programme européen d’aide à l’adaptation pour les changements côtiers, PACCo. Il comprend plusieurs volets.
Le camping de la Plage a été démantelé et délocalisé. Son emplacement va redevenir une zone naturelle ou l’on va laisser la mer entrer.
Une ouverture de 12 mètres va être creusée dans la digue, sous la route. La mer pourra entrer et sortir deux fois par jour au grès des marais et le fleuve côtier se déversera sans entrave dans la Manche. « On reconnecte le fleuve à la mer » explique Régis Leymarie, « Cela va permettre deux choses : de diviser par deux les inondations dans la vallée et de faire revenir la biodiversité dans l’estuaire comme les poissons migrateurs et les oiseaux.»
Au total 50 hectares de l’estuaire vont revenir à leur état naturel. Le projet prévoit aussi une modernisation de la station d’épuration située sur la commune voisine pour que les eaux rejetées dans la vallée, puis sur la plage, soient plus propres.
Un nouveau camping 700 mètres plus haut
Au début, le maire de cette station balnéaire de la Côte d’Albâtre ne voulait pas entendre parler de la démolition du camping du bord de mer et de sa relocalisation ailleurs, inquiet de voir fuir les touristes.
En 2012, Jean-François Bloc finit par donner son feu vert : « pendant les dix premières années de mon mandat j’étais de ceux qui disaient qu’il fallait maintenir le trait de côte là où il est, avec plus d’enrochements et de galets. Puis il y a eu un cheminement, une prise de conscience grâce à des gens comme Stéphane Costa, chercheur en géographie ou le conservatoire du littoral ». Le maire devient un fervent défenseur du projet.
11 ans plus tard, à l’été 2023, un camping flambant neuf a ouvert à 700 mètres de l’ancien, sur un terrain agricole situé sur les hauteurs acheté par la commune.
Aujourd’hui, c’est un peu l’appartement-témoin de l’adaptation au recul du trait de côte plaisante Nicolas Leforestier, président du Syndicat des bassins versants Saâne, Vienne et Scie, l’un des porteurs du projet. Mais cela n’a pas été un long fleuve tranquille pour trouver les financements et le foncier pour le nouveau camping. La moindre parcelle est une denrée rare sur le littoral. Il a fallu aussi mettre d’accord tous les services de l’Etat (Conservatoire du littoral, ou encore l’Etablissement public foncier), les deux communes, voisines, Sainte-Marguerite-sur-Mer et Longueil et obtenir l’adhésion de la population. « l’acceptabilité d’un projet comme celui-ci est le plus grand défi » estime Nicolas lLeforestier, « beaucoup de rumeurs et de fausses informations ont circulé. J’ai même entendu l’idée farfelue qu’on allait construire une marina. Au final avec beaucoup de pédagogie, on y arrive »
Quiberville-sur-Mer continue d’accueillir les touristes. La commune reçoit aussi des visites d’un nouveau genre, des élus du littoral inquiets de la montée des eaux viennent y chercher conseils et idées pour s’adapter.
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