Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique
une bascule dans la régulation de l’électricité nucléaire — et ce qu’elle révèle de notre rapport à l’énergie
Introduction
Au 1er janvier 2026, un tournant décisif va s’opérer dans le paysage énergétique français : la fin du dispositif ARENH. Derrière cet acronyme technique se cache une transformation profonde de la manière dont l’électricité nucléaire est régulée, tarifée et distribuée. Ce changement affecte les particuliers, les industriels, les fournisseurs alternatifs, mais aussi les orientations politiques de long terme en matière d’énergie.
Mais attention : il ne s’agit pas ici de parler d’énergie au sens large, mais bien d’électricité, et plus précisément d’électricité d’origine nucléaire. Cette distinction est essentielle. Car en France, comme ailleurs, l’électricité ne représente qu’une partie de notre consommation énergétique totale. Le pétrole, le gaz naturel, le charbon — tous massivement importés — pèsent bien plus lourd dans les usages quotidiens : transports, chauffage, industrie.
Confondre énergie et électricité, c’est entretenir un flou stratégique. C’est faire croire que la transition énergétique se joue uniquement sur le terrain de l’électrification, alors qu’elle implique une transformation bien plus vaste de nos modes de vie, de production et de consommation.
Qu’est-ce que l’ARENH ?
ARENH signifie Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique.
Ce mécanisme, instauré en 2011 par la loi NOME (Nouvelle Organisation du Marché de l’Électricité), permettait aux fournisseurs alternatifs d’acheter jusqu’à 100 TWh par an d’électricité nucléaire produite par EDF à un tarif fixe de 42 €/MWh. (La loi NOME — Nouvelle Organisation du Marché de l’Électricité — est une loi française promulguée le 7 décembre 2010 (n°2010-1488) qui a profondément transformé le cadre de régulation du secteur électrique en France. Elle répondait à une double exigence : ouvrir le marché à la concurrence conformément aux directives européennes, tout en maintenant les missions de service public portées historiquement par EDF.
Objectifs initiaux :
- Garantir une concurrence équitable dans un marché dominé par EDF.
- Permettre aux consommateurs de bénéficier de la rente nucléaire d’un parc déjà amorti.
- Répondre aux exigences européennes de libéralisation du marché de l’énergie.
Pourquoi l’ARENH s’arrête-t-il ?
La fin de l’ARENH au 31 décembre 2025 résulte d’une décision politique française, prise dans le cadre de la loi NOME, mais sous forte pression de la Commission européenne, qui considère ce mécanisme comme une entrave à la libre concurrence. L’État français a confirmé cette extinction, tout en préparant un nouveau cadre de régulation : le Versement Nucléaire Universel (VNU), censé redistribuer une partie des profits d’EDF aux consommateurs si les prix s’envolent. Mais ce mécanisme reste flou, non publié à ce jour, et pourrait ne pas s’appliquer en 2026.
Que se passe-t-il maintenant ?
À partir de 2026, EDF vend son électricité nucléaire au prix du marché, c’est-à-dire selon les fluctuations des échanges européens. Mais en parallèle, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) fixe un coût de référence — ici 60,3 €/MWh — qui ne sert pas à déterminer le prix de vente, mais à évaluer le coût moyen de production du nucléaire. Ce chiffre est utilisé comme base de calcul pour savoir si EDF réalise des bénéfices jugés “excessifs” et, le cas échéant, combien elle devra reverser aux consommateurs via le mécanisme du Versement Nucléaire Universel (VNU). Autrement dit : EDF vend librement, mais ses gains sont encadrés par ce repère régulatoire.
En fixant un coût de référence à 60,3 €/MWh, la CRE donne l’impression que l’électricité nucléaire serait “compétitive” — voire moins chère que les renouvelables. Mais cette estimation repose sur une méthodologie contestable : elle exclut des coûts pourtant bien réels, comme le démantèlement des centrales, la gestion des déchets radioactifs, ou les risques liés à la sûreté.
Ces coûts, souvent différés dans le temps, sont sous-évalués ou invisibilisés, alors qu’ils s’étendent sur des décennies, voire des siècles. En les retirant du calcul, on fabrique artificiellement une rentabilité qui biaisera les comparaisons avec les énergies renouvelables, dont les coûts sont plus transparents et immédiats.
Ce choix n’est pas neutre : il oriente le débat public en faveur d’un modèle centralisé, piloté par EDF, et présenté comme “évident”. Mais cette évidence est énervante en ouvrant une fenêtre des idées acceptables qui deviennent tolérables par la répétition incessante dans les médias et par les politique ( Overton) — elle empêche de penser autrement, de débattre des alternatives, et de reconnaître les coûts écologiques et sociaux du nucléaire sur le temps long.
Quels sont les impacts pour les différents acteurs ?
Particuliers
- Le tarif réglementé (TRV) reste en place pour l’instant.
- Pas de hausse brutale prévue en 2026, selon la CRE.
- Mais la fin de l’ARENH supprime un filet de sécurité : les prix deviennent plus sensibles aux fluctuations du marché et à la fiscalité.
🔹 Industriels électro-intensifs
- Perte du tarif ARENH à 42 €/MWh : certains verront leur facture grimper fortement.
- Des contrats de long terme sont proposés par EDF, mais leur négociation est opaque et inégalitaire.
🔹 Fournisseurs alternatifs
- Fin de l’accès régulé = perte de compétitivité face à EDF.
- Moins de visibilité sur les coûts = plus de volatilité dans les offres commerciales.
🔹 EDF
- Peut vendre à prix de marché, mais reste sous pression financière.
- La Cour des comptes alerte sur un mur d’investissements de 460 milliards d’euros d’ici 2040.
🌍 Replacer dans le contexte énergétique global
L’électricité ne représente qu’une partie de notre consommation d’énergie. Voici une vue d’ensemble :
Source d’énergie | Part dans le mix | Importée ? | Usage principal |
Mix électrique (nucléaire etc…) | ~41 % | Non/oui | Électricité |
Pétrole | ~28–30 % | Oui | Transports |
Gaz naturel | ~16 % | Oui | Chauffage, industrie |
Renouvelables | ~15–16 % | Partielle | Chauffage, électricité |
Charbon | ~3 % | Oui | Résiduel |
On ne peut que constater que la transition énergétique ne peut se réduire à l’électrification, et encore moins à sa version centralisée et financée par l’État, comme c’est le cas du nucléaire. Car si l’électricité — nucléaire ou non — occupe une place importante, le pétrole et le gaz, massivement importés, restent dominants dans nos usages quotidiens : transports, chauffage, industrie. Et avec eux, une dépendance géopolitique persistante.
Penser que l’énergie — surtout sous sa forme technologique et industrielle — va nous “sauver” de l’impasse sociétale est une illusion. Ce n’est pas par des solutions complexes, pilotées d’en haut, que nous sortirons de l’ornière. C’est par des actions multiples, territoriales, sobres et démocratiques, qui remettent en cause l’idée même que la technique suffit à résoudre les crises qu’elle a contribué à créer.
Visées politiques actuelles
Le nucléaire reste présenté comme un pilier stratégique de l’État, malgré :
- Ses coûts croissants (investissements estimés à 460 milliards d’euros d’ici 2040),
- Les impasses techniques et sociales d’une production centralisée, le rôle de l’État ne devrait pas être de piloter un modèle unique, mais de coordonner, soutenir et garantir l’équité entre des initiatives territoriales, sobres et coopératives.
- Et les risques systémiques liés à la dépendance à un acteur unique (EDF)..
Le Versement Nucléaire Universel (VNU) est censé permettre une redistribution aux consommateurs lorsque EDF réalise des bénéfices importants en vendant son électricité nucléaire. Mais ce mécanisme repose sur une hypothèse fragile : que le prix de vente dépasse un seuil de rentabilité fixé à 60,3 €/MWh par la CRE.
Or, EDF estime son coût réel de production à 79,6 €/MWh. Autrement dit, tant que le marché ne dépasse pas ce niveau, il n’y aura pas de bénéfices à taxer — donc pas de redistribution.
Pour rendre le VNU “activable”, la CRE a abaissé artificiellement le coût de référence, en retirant des charges pourtant bien réelles comme le démantèlement des centrales ou la gestion des déchets. Ce choix comptable camoufle les coûts du nucléaire sur le temps long, et donne l’illusion d’une rentabilité qui n’existe pas.
On se retrouve alors avec un mécanisme de compensation construit sur un modèle qui ne tient pas debout : une régulation “réformiste” qui repose sur des chiffres fragiles, et qui risque de ne jamais fonctionner en pratique. Le VNU devient un outil de communication, plus qu’un véritable levier de justice énergétique.
Tout cela repose sur une “Hypothèses macroéconomiques raisonnables” : qu’est-ce que ça veut dire ?
Quand la CRE calcule le coût de production du nucléaire, elle doit intégrer le coût du capital — c’est-à-dire ce que coûte à EDF le fait d’investir, emprunter, maintenir ses infrastructures. Pour cela, elle utilise un indicateur : le coût moyen pondéré du capital (CMPC ou WACC).
Mais ce CMPC repose sur des hypothèses macroéconomiques dites “raisonnables”, c’est-à-dire :
- Un taux d’intérêt moyen sur les emprunts,
- Un rendement attendu par les actionnaires (même si EDF est majoritairement public),
- Une prime de risque standardisée, censée refléter les incertitudes du secteur.
Ces hypothèses sont “raisonnables” au sens où elles sont conformes aux standards financiers… mais elles sont déconnectées des risques réels du nucléaire. (· Les retards de chantier, les dérives budgétaires, les incertitudes sur le démantèlement ou la gestion des déchets sont minimisés ou exclus du calcul.· Le coût du capital est lissé, comme si le nucléaire était une activité stable et prévisible — alors qu’il est historiquement marqué par des aléas majeurs.)
Ce que ça cache
- Ces hypothèses lissent les incertitudes : retards de chantier, surcoûts, démantèlement, imprévus techniques…
- Elles minimisent les tensions financières liées aux investissements massifs (460 milliards d’euros d’ici 2040).
- Elles permettent à la CRE de fixer un coût de référence “acceptable” (60,3 €/MWh), compatible avec l’activation du VNU.
En résumé : on parle de “raisonnabilité” pour justifier un chiffre politiquement utile, pas pour refléter la réalité économique du nucléaire.
Une lecture post-croissante : réactiver la conflictualité
Ce moment de bascule révèle :
- Une dépendance renforcée au marché,
- Une invisibilisation des coûts sociaux et écologiques du nucléaire,
- Une marginalisation des alternatives territoriales, sobres et démocratiques.
La critique post-croissante ne propose pas de mieux gérer les profits, mais de sortir de la logique de profit. Elle ne cherche pas à optimiser le marché, mais à repolitiser les choix énergétiques. Elle ne veut pas seulement protéger les consommateurs, mais redonner aux citoyens la souveraineté sur l’énergie.
Pour aller plus loin : L’Energie un Commun politique (lien à venir)
Et en attendant … https://alaingrandjean.fr/transition-ecologique-et-energetique/2025/10/cout-et-prix-des-sources-electricite-bas-carbone-qui-paie-quoi/