L’agriculture biologique suscite régulièrement débats et polémiques. Deux objections reviennent souvent :
- Le bio utiliserait aussi des pesticides.
- Il serait incapable de nourrir toute la population mondiale.
Ces affirmations méritent d’être examinées attentivement, chiffres à l’appui.
1. Bio et pesticides : un impact bien moindre
Oui, l’agriculture biologique utilise certains pesticides. Mais l’ampleur et la dangerosité de ces substances restent sans commune mesure avec le conventionnel.
- En France, pays particulièrement permissif, 231 substances actives sont autorisées en conventionnel, contre seulement 33 en bio — soit 7 fois moins.
- Toxicité : 224 substances conventionnelles sont classées dangereuses, dont 31 % CMR (cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction). En bio, on en compte 17, nettement moins nocives.
- Milieux aquatiques : 89 % des molécules conventionnelles y sont toxiques, contre 27 % pour le bio.
Santé humaine : environ 10 % des agriculteurs français présentent des signes d’exposition chronique aux pesticides, avec des maladies reconnues comme professionnelles (Parkinson, cancers variés). Hors zones agricoles, l’alimentation est la principale source d’exposition, avec des résidus détectés dans plus de 90 % des aliments non bio.
2. Environnement : biodiversité et pollution durable
Certains pesticides, notamment les néonicotinoïdes, peuvent éliminer jusqu’à 80 % des insectes pollinisateurs, entraînant depuis les années 1990 un déclin de 30 % des oiseaux de plaine en France.
- Biodiversité : les pesticides, avec la perte d’habitats et le changement climatique, comptent parmi les causes majeures de l’effondrement du vivant.
- Eaux : chaque année, 56 % des points de mesure des rivières dépassent les seuils réglementaires de pesticides. Des herbicides interdits persistent dans les nappes phréatiques plus de 15 ans, aggravant les risques via un effet cocktail des molécules.
3. Peut-on nourrir le monde avec le bio ?
Les rendements bio sont en moyenne 20 à 30 % inférieurs à ceux du conventionnel, mais ces chiffres varient selon cultures et régions.
- Une étude de 2017 montre qu’une agriculture 100 % bio pourrait nourrir 9 milliards d’humains en 2050 sans augmenter les surfaces cultivées, à condition de :
- réduire de 30 % le gaspillage alimentaire (actuellement 30 % de la production mondiale) ;
- diviser par trois la consommation de produits animaux (70 % des terres cultivées servent à l’élevage).
- Scénario Afterre 2050 : nourrir 72 millions de Français avec 50 % de bio est possible sans étendre les terres, tout en réduisant par trois pesticides, consommation d’eau et d’énergie. Le 100 % bio demanderait 16 à 33 % de terres en plus.
4. Les leviers de la transition
Atteindre ces objectifs implique :
- une baisse de la part des protéines animales dans l’alimentation (de 60 % à 30 %) ;
- des pratiques agroécologiques renforcées (rotations longues, diversification, légumineuses fixatrices d’azote) ;
- une reconnexion agriculture–élevage pour recycler les déjections animales ;
- la fin de la spécialisation excessive des territoires agricoles, source d’appauvrissement des sols et de pollutions.
Conclusion
Le bio n’est pas parfait, mais il réduit considérablement l’usage et la toxicité des pesticides, préserve mieux la biodiversité et, sous certaines conditions, peut nourrir l’humanité. Le véritable défi n’est pas technique mais politique et culturel : revoir nos régimes alimentaires, réduire le gaspillage et repenser le modèle agricole hérité d’une époque révolue. Cette mutation commencera localement, mais son impact sera global — pour la santé, l’environnement et la qualité de vie des agriculteurs.