Penser une société du commun et de la co-responsabilité
Bon à savoir : La division classique de la société en trois blocs (État, marché, « société civile ») est un héritage du XIXe siècle. Aujourd’hui, cette grille de lecture ne suffit plus à décrire la complexité des dynamiques politiques et sociales.
Dans le débat public, on continue souvent de catégoriser la société en trois entités : l’État et les services publics, le secteur privé et ses entreprises, et ce qu’on appelle, de manière parfois imprécise, la « société civile ». Ce terme regroupe aussi bien les syndicats, les ONG, les associations que les collectifs citoyens, voire certaines entreprises dites « responsables ». Une telle diversité sous une même étiquette brouille les frontières entre des logiques de gouvernance très différentes
Pourquoi c’est important : Ce flou conceptuel masque la réalité des modes de gouvernance et limite la capacité à penser une égalité politique entre les acteurs. Dans une société en quête de repolitisation au-delà de la croissance, il devient nécessaire de clarifier ces distinctions.
Le « commun politique » : un principe d’égalité et de co-responsabilité
Bon à savoir : Le commun politique désigne ce qui ne peut ni s’acheter ni se vendre, car ils appartiennent à tous et à personne en même temps. Il ne s’agit pas de propriétés, mais d’usages partagés, définis et régulés par une communauté.
Cette notion introduit un rapport différent au droit, aux ressources et au pouvoir. La gouvernance y est coopérative, non hiérarchique, et les décisions émergent du terrain, entre pairs. Le commun peut être naturels (eau, forêts), numériques (logiciels libres, Wikipédia) ou politiques (lieux autogérés, espaces culturels collectifs).
Pourquoi c’est important : Le commun redonne du sens à la politique comme capacité d’agir ensemble sur le monde commun, plutôt que comme délégation de pouvoir ou compétition économique. Ils incarnent une écologie du lien, où la politique rejoint le vivant.
Quatre sphères pour une société équilibrée
Bon à savoir : Pour repenser le cadre politique sans exclusion, il est utile de considérer la société comme un ensemble de quatre sphères, égales en dignité mais distinctes dans leur logique : la sphère publique, la sphère marchande, la sphère sociale et la sphère du commun.
La sphère publique
Elle incarne la délégation collective pour protéger l’intérêt général. État, institutions et services publics agissent en principe au nom de tous, avec une légitimité fondée sur le mandat collectif. Les ressources y sont publiques (routes, écoles, hôpitaux) et ne devraient appartenir à personne en particulier.
La sphère marchande
Elle repose sur l’initiative individuelle, le risque et la propriété. Organisée autour du gain et du capital, elle stimule l’innovation mais peut aussi étouffer le vivant si elle n’est pas reliée aux autres sphères.
La sphère sociale
Territoire du lien et de la solidarité, elle regroupe les associations, syndicats et collectifs nés de la volonté de formes d’organisation qui créent du lien sans chercher le profit.
Sa gouvernance est collégiale, fondée sur la discussion, l’engagement et l’action concrète.
La sphère du commun
La plus fragile et précieuse, elle redonne sens aux autres sphères. Ici, rien ne s’achète ni ne se vend : on prend soin ensemble de ce qui nous relie (jardins partagés, logiciels libres, rivières protégées). La gouvernance y est horizontale et contributive, née de la parole et du temps partagé.
Pourquoi c’est important : Ces quatre sphères ne s’opposent pas, mais coexistent et s’entremêlent. Une société équilibrée est celle où chacune peut respirer, sans qu’aucune ne domine les autres. L’enjeu n’est plus de savoir qui possède, mais qui décide, avec qui et dans quel but.
Vers une société post-croissante : rééquilibrer les souverainetés
Bon à savoir : Une société post-croissante reconnaît quatre souverainetés interdépendantes :
- Publique : fondée sur le mandat collectif.
- Privée : fondée sur la liberté d’initiative.
- Sociale : fondée sur l’engagement volontaire.
- Du commun : fondée sur la co-gouvernance et la non-appropriation.
Cette approche permet de dépasser les dualismes (public/privé, productif/improductif) qui structurent encore la pensée politique en 2025.
Pourquoi c’est important : Il s’agit de rendre chaque acteur légitime et de sortir d’une vision hiérarchisée de la société, pour imaginer un monde où le pouvoir se mesure à la capacité de prendre soin ensemble, plutôt qu’à la force de posséder.
En résumé : L’État administre, le marché produit, la sphère sociale relie, et le commun préserve. Ces quatre dynamiques forment le tissu vivant d’une société post-croissante, où l’équilibre entre les sphères est la clé d’une démocratie vivante
Pourquoi reconnaître politiquement le commun
Le commun n’attend pas de subventions, il attend une reconnaissance politique.
Non pas une aide financière, mais une caution symbolique : la validation publique de sa légitimité à exister, à décider, à prendre soin collectivement.
Cette reconnaissance agit comme une protection contre l’absorption — par le marché, qui privatise, ou par l’État, qui administre.
La nommer, c’est affirmer que la société peut aussi s’organiser depuis le bas, par la coopération et la responsabilité partagée.
C’est offrir un cadre de confiance sans contrôle, une forme de parrainage politique du vivant collectif.
Le commun n’a pas obligatoirement besoin d’être aidé : ils a besoin d’être reconnus pour la part de monde qu’ils protègent.