Adaptation : ne pas être aveugle

Canicule, grand froid, vent violent, inondation … des destructions, des inhabilités qui nous obligent à reconstruire et à rénover

Trois réponses à « l’habiter » : circuler, ménager, respirer

« Si on est aveugle aux mouvements de la nature, on sera aveugle à l’adaptation » — Éric Daniel-Lacombe, architecte


Nous avons pris l’habitude d’habiter en nous figeant.

La maison moderne, surtout lorsqu’elle est individuelle, tend à se déconnecter du vivant. Elle se ferme, s’isole, se climatise. Elle devient un produit de consommation, déjà décontextualisé avant même d’être construite.

Et pourtant, nous savons intuitivement que l’habiter ne réside pas dans les murs, mais dans les circulations : les allers-retours entre l’intime et le commun, entre l’intérieur et l’extérieur, entre l’humain et la saison.

Ce ne sont pas les murs qui font un chez-soi, ce sont les passages.


Une maison n’est pas une boîte

La maison individuelle est devenue un rêve normatif : symbole de réussite, d’autonomie, de sécurité. Mais ce rêve a un coût : l’éloignement, l’isolement, la dépendance à la voiture, la perte du collectif.

En lotissement, la maison se replie, à la fois détournée de son environnement et déconnectée de ses voisins. L’espace public n’est plus un lieu d’échange mais une voie de transit.

On ne sort plus vraiment : on passe de l’intérieur privé à l’intérieur de la voiture. L’humain devient étranger à son propre quartier.


L’espace commun rend l’intime possible

L’individuel n’existe que porté par du collectif. Ce n’est pas la taille du terrain ni l’épaisseur des clôtures qui protègent l’intimité, mais la qualité des espaces intermédiaires : les seuils, les cours, les vestibules, les pas de porte.

Ce sont des espaces qui semblent inutiles, mais qui rendent tout possible. Ils permettent de passer sans violence d’un monde à l’autre. Ils sont le liant, l’articulation.


OrganiCité

Une maison, une petite ville ; une ville, une grande maison

L’habitat peut se penser par étagement : L’intimité dans la chambre, la maison, le jardin. La proximité avec les voisins, au seuil, sur le banc, sous l’auvent. La communauté dans les lieux partagés : jardin, atelier, buanderie, maison commune. La sociabilité dans le quartier : école, marché, maison de quartier, tiers-lieu.

Ce qui compte, ce n’est pas la séparation stricte, mais la transition douce entre les sphères. Une maison bien pensée est une forme de ville. Une ville habitée est une maison ouverte.


Rénover sans enfermer : le défi du déjà-là

Rénover, ce n’est pas calfeutrer. C’est rouvrir les circulations. Créer des porosités.

La maison bioclimatique demande souvent plus de vide, pas plus de matériau. Des espaces tampons, non chauffés, non standardisés : cour, jardin d’hiver, sas, patios, loggias, galeries.

Ces espaces sont souvent les plus essentiels : ils permettent à la maison de s’ajuster sans surconsommer. Ils sont la condition d’un confort mouvant, adaptatif.

Le confort est un mouvement, pas une moyenne thermique.

Les normes ne reconnaissent pas cette forme d’antiutilitarisme. Pourtant, ce sont ces marges, ces lieux de passage qui permettent une véritable sobriété habitée.


Ce ne sont pas les murs qui font un chez-soi, ce sont les passages

Le chez-soi n’est pas un lieu figé. Il peut être mobile, temporaire, réversible.

Une tente, une tiny house, un habitat transitoire, peuvent porter une véritable qualité d’habiter. Non pas par pauvreté, mais par mobilité choisie. Parce qu’ils reconnaissent que l’habitation est un état transitoire du vivant.

L’ancrage ne vient pas des fondations, mais de la manière dont on s’accorde au lieu.

Un habitat réversible peut être plus juste : il n’écrase pas le sol, il n’aspire pas tout le paysage. Il reconnaît la possibilité du départ, sans renier l’attachement.


Habiter, c’est prendre soin des seuils

Au fond, habiter ce n’est pas posséder un lieu, c’est le ménager. C’est y prêter attention, le traverser sans le détruire.

C’est donner sa place à l’air, au vent, à la lumière, aux autres. Et accepter que le « trop petit » ou le « trop vide » puisse être la juste mesure.

Pour habiter demain, il faudra rouvrir les passages, pas refermer les volumes.

Ce sont les seuils, les marges, les interstices qui feront la richesse des lieux. Et l’on redécouvrira alors que l’habitat est un mouvement, une manière de circuler entre soi, les autres, et le monde.

Pour terminer un point de vue qu’il va falloir faire mentir

« Tiens-toi à l’écart de l’homme blanc. Le blanc se construit une grande maison avec des murs et un toit pour en exclure la lumière, la pluie et le vent. Ensuite, il fait des trous dans les murs pour permettre à la pluie, au vent et à la lumière d’y pénétrer à nouveau. Après cela, il place dans les trous ce qu’il appelle du verre pour écarter la pluie et le vent, mais permettre à la lumière de pénétrer. Et alors il se précipite à l’intérieur comme un singe effrayé et pend des rideaux pour arrêter la lumière. Le blanc est fou, tiens-toi à l’écart de lui. » — Illusion in JAVA par Gene Fowler