Gouverner les Communs : inscrire la raison d’être au cœur du projet

La contribution ci-dessous vise à énoncer des objectifs fondamentaux constitutifs d’une gouvernance des communs qui préserve la cohérence démocratique au sein des structures collectives ; ces objectifs ont l’ambition d’être applicables quels que soit le contexte, la structure ou le cadre juridique.


Cet objectif, en amont de toute mise en œuvre, doivent permettre à chacun et chacune d’y puiser des orientations pour bâtir leurs propres dispositifs dans un esprit de continuité avec la raison d’être partagée.
Ces principes et finalités se doivent aussi d’être un outil structurant pour organiser un travail de confrontation et de concordance avec des projets ou des réalisations alternatives nécessaires à l’évaluation de la faisabilité des différentes démarches … on aura ainsi construit le moment essentiel d’un projet, on y va/on n’y va pas (Go/Not go).
Pour une démocratie coopérative ancrée dans la raison d’être — inverser les injonctions.

Au sein des structures de coopération portées par un collectif, à mesure que celles-ci grandissent, se professionnalisent ou s’institutionnalisent, un décalage grandissant peut apparaître entre les membres et les décisions prises. Ce phénomène, souvent discret, mais profond, mène à une forme de dépossession démocratique ; les membres du collectif, bien que théoriquement souverains, se désengagent des assemblées générales et des processus de vote, ne se reconnaissant plus dans les enjeux mis à l’ordre du jour.

Ce désintérêt n’est pas dû à un manque de volonté, mais à une rupture de sens. Les décisions soumises au vote paraissent de plus en plus techniques, administratives ou normatives, et donc éloignées des raisons pour lesquelles les membres ont initialement adhéré à l’organisation présidant au fonctionnement du collectif. Dans un système démocratique, demander à chacun de devenir expert pour pouvoir exercer son droit de regard revient à restreindre l’exercice de ce droit à quelques-uns.

Ce que l’on observe dans ces cas, c’est que la “démarche réalisatrice” — les outils, les procédures, les logiques gestionnaires mises en place pour faire fonctionner la structure — prennent progressivement le pas sur ce qui devrait rester fondamental et lisible : la “raison d’être” qui a rassemblé les membres, leur engagement initial, la vision partagée. Ce glissement n’est pas une fatalité, mais il nécessite une réponse structurelle.
Pour inverser ce mouvement, il est nécessaire d’inscrire clairement la raison d’être dans l’architecture statutaire de l’organisation, non pas comme une déclaration symbolique ou marketing, mais comme fondement politique de l’action collective ; cette raison d’être devrait figurer dans les statuts sous la forme d’un “article zéro”, placé avant l’objet social. Cette articulation place la raison d’être comme source et limite de l’action ; l’objet, de l’article 1, est à son service, et non l’inverse.

Une telle inscription n’a de sens que si elle s’accompagne de dispositifs réels permettant de faire vivre cette « boussole démocratique ». Cela implique notamment de reconnaître la légitimité des usages et du sens dans la gouvernance de la structure, en faisant en sorte que les décisions opérationnelles soient toujours mises en concordance avec les besoins et les intentions fondatrices. Il s’agit de garantir que chaque choix stratégique soit compréhensible et en lien avec l’engagement collectif. L’administration, l’expertise de la gouvernance doivent faire leur chemin vers une rationalité ordinaire qui a fondé son objet.
Il est essentiel de donner un droit de « connaître » effectif aux membres.

En cas de doute sur une orientation prise au nom de la structure, il devrait être possible de déclencher une commission de transparence coopérative, composée de membres tirés au sort ou volontaires, chargée d’évaluer la compatibilité d’une décision avec la raison d’être statutaire. Cette démarche n’a pas vocation à ralentir l’action, mais à garantir que l’élan initial ne soit pas progressivement écrasé par les nécessités organisationnelles.

L’organisation des communs, comme forme politique constitutif du tiers secteur, ne peut survivre à l’éloignement et au décrochage de ses membres.
Ancrer la raison d’être dans les statuts, reconnaître celle-ci avec les usages qui en découlent comme base de légitimité, et instituer des gardes fous démocratiques face à une éventuelle dérive gestionnaire, c’est refonder une pratique vivante de la démocratie des Communs. Non pas une démocratie d’experts, mais une démocratie d’adhésion, de conscience et de vigilance.