Vivre avec le vivant : dépasser la fausse opposition entre pastoralisme et loup

« La vie se nourrit de la vie »

« Pas d’implantation du loup là où il y a du pastoralisme » » une affirmation qui n’est pas neutre

Cette vérité biologique, simple en apparence, devient inconfortable lorsqu’elle touche nos habitudes, nos activités, nos territoires. Le retour du loup, en France comme ailleurs, en est l’une des manifestations les plus sensibles. Il dérange, inquiète, ravive des peurs anciennes et des tensions bien réelles — notamment dans les zones de pastoralisme extensif.
Mais faut-il en conclure, comme on l’entend souvent, qu’il ne peut pas y avoir d’implantation du loup là où il y a du pastoralisme ?

Une phrase révélatrice d’un modèle épuisé.
Cette affirmation, en apparence pragmatique, n’est pas neutre. Elle suppose qu’il y aurait incompatibilité fondamentale entre certaines formes d’activité humaine et la présence de prédateurs. Autrement dit, que pour qu’un modèle de production agricole survive, le vivant non contrôlable devrait s’effacer.
C’est là une logique héritée de l’industrialisation du monde vivant :
celle qui veut domestiquer les milieux au lieu d’y cohabiter,
celle qui sépare l’humain de son écosystème,
celle qui produit pour accumuler, sans retour ni réciprocité.
Dans cette vision, le loup devient une erreur, un accident, voire une agression contre l’humain producteur. Il faut l’écarter pour rétablir l’ordre, c’est-à-dire l’ordre d’un monde artificiellement stabilisé, hyper-maîtrisé, inadaptable.
Pastoralisme et vivant : alliance ou contradiction ?
Et pourtant… le pastoralisme, dans son essence, est une pratique ancienne et résiliente, fondée sur la mobilité, la connaissance fine du territoire, la cohabitation avec des milieux dynamiques. Ce n’est pas un modèle industriel. C’est même l’une des rares formes d’agriculture encore ancrée dans un rapport direct au vivant.
Mais alors, le problème est-il le loup ? Ou la manière dont le pastoralisme est aujourd’hui contraint de survivre dans un système qui le précarise, le fragilise, le rend vulnérable à la moindre perturbation ?
Il est plus juste de dire que ce n’est pas le loup qui est incompatible avec le pastoralisme, mais le pastoralisme sans moyens, sans écoute, sans protection adaptée, sans revalorisation. Un pastoralisme relégué en marge, abandonné à la logique du rendement et de l’isolement, ne peut plus s’adapter. Il subit. Il s’épuise.
La vie est faite de relations, d’interactions, de conflits parfois, mais aussi de co-évolutions. Le vivant n’est pas un système stable à préserver, c’est un équilibre en mouvement à entretenir.

Si l’on veut vraiment préserver à la fois le pastoralisme et la biodiversité, il faut sortir du modèle binaire : ou bien le loup, ou bien l’éleveur. Il faut engager un changement de rapport au vivant, c’est-à-dire :
penser des formes de production compatibles avec l’imprévisible,
retrouver une capacité d’observer, de s’ajuster, d’innover sobrement (chiens de protection, accompagnement humain, indemnisations justes, zones tampons, gestion collective du risque…),
et surtout, revaloriser les savoirs situés, les pratiques locales, les formes d’habiter un territoire qui ne passent pas par l’exclusion du sauvage.


Choisir la cohabitation exige plus que de la tolérance
Refuser le loup « là où il y a du pastoralisme », c’est au fond renoncer à imaginer une autre manière d’habiter le monde — une manière dans laquelle l’humain ne serait pas seul à avoir droit de cité.
Ce n’est pas ignorer la souffrance des éleveurs. C’est au contraire reconnaître que leur isolement vient d’un système entier à repenser. Un système qui, pour être plus durable, doit cesser de poser le vivant comme un problème.
Il ne s’agit pas de choisir entre le loup et le berger, mais de redonner au berger les moyens de cohabiter avec le vivant — car lui aussi en fait partie.