Rien à soi, plus rien de soi : la précarité peut tout effacer

On parle souvent de précarité comme d’un danger à éviter, une chute à empêcher. Mais pour beaucoup d’entre nous, la précarité, ce n’est pas une menace future : c’est le présent.

Ce n’est pas une peur, c’est le quotidien. Alors la vraie question, ce n’est pas comment s’en défendre, c’est : comment on construit des vies, où on ne survit pas en équilibre sur le vide ou en frappant contre les murs d’une prison qui ne s’ouvre jamais..

Il ne s’agit pas de tenir debout tout seul, mais de marcher ensemble sur des chemins qui tiennent — où le logement, la santé, le revenu, le respect, ne sont pas des privilèges, mais des bases. Et ces routes, c’est nous même qui les traçons pas à pas, dans la proximité, dans les luttes, dans les solidarités, dans les choix qu’on impose ensuite aux institutions qui doivent savoir entendre.

Ce qu’on appelle « écologie », ce n’est pas juste sauver la planète ou trier ses déchets. C’est penser et organiser nos vies autrement, avec ce qu’on a, là où on est — savoir faire des communs, du collectif même sans empathie mais construit par le sens et la raison d’être des engagements écologiques. C’est préférer la circulation à l’accumulation : faire circuler l’énergie, l’entraide, les savoirs, plutôt que bloquer les richesses chez quelques-uns … c’est favoriser l’usage avant la possession. C’est accepter que les équilibres soient toujours à refaire, jamais parfaits, mais que l’on peut rendre justes si on s’y met à plusieurs. C’est une écologie vivante, humaine, de celles et ceux qui en ont marre de survivre et qui veulent vivre, pour de vrai.

Et vivre pour de vrai, ce n’est pas courir après plus, toujours plus. C’est avoir assez pour toutes et tous et pas trop pour quelques-uns. C’est une sobriété choisie, pas subie, une façon de dire que la dignité ne se mesure pas à ce qu’on possède, mais à ce qu’on partage. Une vie simple, riche et frugale, mais pleine. Une vie qui tient.

Alors, que fait-on ?

On ne va pas attendre qu’un miracle tombe du ciel. Ce dont on parle ici, cela existe déjà dans les têtes, dans les mains, dans certains coins de territoires où les gens décident de faire autrement. Des dynamiques locales s’organisent, parfois à toute petite échelle, mais avec de vraies idées et une envie de tenir debout ensemble.

Ce qu’il nous faut, ce sont des lieux concrets, des espaces communs, des supports solides où on peut bâtir une vie. Pas des lieux de secours, mais des chemins d’existence — des lieux qui croisent habitat, travail, entraide, savoir-faire et dignité. Des endroits où on peut produire, réparer, habiter, apprendre, créer, partager… Et tout ça hors des logiques de profit, en coopérant, en se soutenant.


Un exemple sous mes yeux

Le projet du Domaine de la Salette, à Bédarieux, portait cette énergie-là. Un vieux site vide, réinvesti pour devenir une résidence d’activités et un habitat participatif partagé. Un endroit pensé pour mêler fablab, ateliers de petites productions, cuisine partagée, café associatif, salle commune et jardin partagé, habitat solidaire, accueil temporaire, gouvernance commune… Un lieu fait pour fabriquer une vie digne localement, pas pour vendre du rêve hors-sol. Mais faute de soutien, sans relais institutionnel, et après le passage de la COVID, le projet est resté en suspens. Il s’est épuisé de solitude.

Pendant ce temps, à Lodève, à quelques kilomètres, un projet du même type a vu le jour, grâce à du foncier solidaire soutenu par la mairie, une équipe investie, et une volonté politique locale. Comme quoi quand les collectivités prennent leur part, la concrétisation se fait.

Et ce n’est pas juste une histoire de murs, de logements ou d’ateliers. Ce genre de lieu, comme le projet de la Salette, c’est aussi une manière d’exister autrement. Parce qu’on ne se construit pas seulement en recevant. On se construit aussi en donnant, en échangeant, en faisant partie de quelque chose. Beaucoup d’entre nous sont passés par là : on va au resto du cœur, au CCAS, chez l’assistante sociale ou à l’hôpital de jour, même parfois on est juste trop âgé pour rester seul.e, ou encore jeune et confrontée au vide qui ne nous construit plus.  On y va aussi parfois parce qu’on n’a pas le choix. Et parfois, il faut savoir accepter ça, juste pour redémarrer. Mais très vite, si on le peut, on veut aussi rendre ce qu’on a reçu, pas par obligation, mais pour retrouver notre place, notre valeur, notre dignité. Un lieu comme la Salette permet ça : on peut y être aidé un jour, et aider les autres le lendemain. On peut y côtoyer ceux et celles qui font déjà et apprendre, fabriquer, transmettre, créer, réparer, ensemble. Ce n’est pas juste un projet de bâtiment : c’est un projet de liens, de reconnaissance, de reconstruction. C’est une manière d’être vivant.


Ce qu’il nous faut maintenant

Ce qui est demandé, ce n’est pas un coup de main charitable mais un ecosysteme social et écologique, c’est des espaces d’intermédiation, des (tiers) lieux où des projets comme celui-ci peuvent se monter, se relancer, se structurer — avec et pour les gens, qui pense qu’ils n’ont plus de place. Des outils pour remettre les choses entre les mains de ceux, toutes générations confondues, qui vivent la perte d’identité sociale, qui connaissent le terrain, qui perçoivent ce qu’il faut changer.

Il est temps de remettre l’écologie à hauteur de sol, à hauteur de galère, à hauteur de vie. Et de se dire : c’est la société qui est trop fermé pour nous entendre. Alors ouvrons-la, ouvrons la !